Ubérisation : quels enjeux pour les professionnels du tourisme ?
Flexibilité, adaptation et réactivité sont devenus essentiels pour les entreprises dans l’économie moderne. Face aux mutations des marchés et aux innovations, les acteurs doivent se renouveler perpétuellement pour répondre aux nouvelles attentes et faire face à la concurrence. En 2016, ce sont 1,27 million de salariés qui travaillaient en lien avec le tourisme en France. Ainsi, les évolutions et les innovations qui touchent ce secteur affectent une grande partie de la population active. D’une économie occasionnelle collaborative, nous voyons désormais l’apparition de nouveaux modèles, une économie parallèle structurée qui vient perturber le marché de l’hôtellerie / restauration. Les acteurs cherchent à se démarquer, ils ne souhaitent plus entrer simplement sur le marché mais tentent de le contourner. Comment le tournant est-il pris ? Quels sont les enjeux majeurs de cette évolution ? Nous allons tenter d’apporter des éléments de réponse.
Pourquoi parle-t-on d’ « innovations disruptives » dans le secteur du tourisme ?
Selon Clayton M.Christensen, professeur dans la prestigieuse Harvard Business School, il est possible de définir la disruption comme le fait de contourner les barrières du marché en cherchant à redéfinir de façon plus ou moins minimaliste les besoins du client. La démarche consiste à chercher à distinguer le besoin essentiel du besoin accessoire.
Cette ubérisation du secteur du Tourisme correspond aux nouvelles attentes et aux nouveaux besoins exprimés par les consommateurs. Ces derniers exercent un pouvoir de négociation extrêmement fort. Ils attendent désormais un rapport qualité/prix optimal pour tout type de service.
Il devient de plus en plus compliqué pour les acteurs physiques et les professionnels du Tourisme de se démarquer. En effet, les sites de type Airbnb, ou BlablaCar sont très bien référencés et captent l’essentiel du trafic. Tandis que d’autres tels que Booking, Expedia ou encore Tripadvisor vont accroître la concurrence entre les établissements, notamment sur leur rapport qualité/prix.
Avec quelles conséquences sur les acteurs traditionnels du secteur ?
Le cas d’Airbnb illustre parfaitement la situation de remise en question des rapports de force existants. Airbnb vaut désormais 27 milliards de dollars, soit plus de 2 fois le groupe AccorHotels. Le tout sans posséder le moindre bâtiment et sans employer de personnel d’accueil ou de ménage.
C’est une plateforme qui met en relation une offre et une demande par un système de matching via une application. Son business model est financé par un système de commissions par transactions.
AirBnb s’adresse principalement à une clientèle touristique qui recherche un bon rapport qualité/prix. Les performances de l’entreprise sont impressionnantes : entre 2008 (date de création) et 2018, Airbnb a développé un réseau de plus de 4,5 millions de logements à l’échelle mondiale, 300 millions de voyageurs avec une présence dans 81 000 villes.
Loin de se reposer sur ses acquis, Brian Chesky, PDG d’Airbnb a dernièrement déclaré à San Francisco le lancement d’une nouvelle offre premium Airbnb+ qui vise à cibler une clientèle plus âgée et plus aisée. Après avoir convaincu les Millennials via son dispositif disruptif, Airbnb souhaite désormais élargir son portefeuille de clients.
Cette annonce vient bouleverser le marché de l’hôtellerie de luxe qui va désormais devoir compter sur un acteur qui a déjà bouleversé le marché de l’hôtellerie classique. Les projets d’Airbnb inquiètent ainsi logiquement les professionnels du secteur.
Selon Emmanuel Combe, vice-président de l’autorité de la concurrence et professeur à SKEMA Business School, « la force d’Airbnb, c’est de proposer à la clientèle une autre expérience ». L’offre que propose Airbnb n’est pas meilleure que l’offre hôtelière classique : elle est différente ! En effet, le consommateur a davantage l’impression de se sentir chez soi, il a la possibilité de passer une nuit dans un environnement plus personnalisé, chaleureux et moins impersonnel que dans un hôtel. D’un côté, le consommateur perd en flexibilité car il n’a pas toutes les prestations qu’offrent un hôtel (room service, assistance, garantie etc..) mais il gagne en expérience. C’est sur ce levier que les acteurs traditionnels du tourisme peinent à rivaliser.
Comment les acteurs traditionnels du secteur peuvent-ils faire face à cette nouvelle forme de concurrence ?
Pour répondre aux nouvelles demandes des consommateurs et contrer la concurrence, les grands groupes hôteliers comme AccorHotels ou Louvre hotels axent leur stratégie sur la fidélisation. En effet, ils peuvent compter sur leur présence à l’international pour accompagner les consommateurs et proposer des systèmes de fidélisation (carte de fidélité, cumul de points, offres flash…). Il s’agit de choisir une stratégie qui capitalise sur les avantages comparatifs que chaque acteur dispose.
Si les grands groupes ont les moyens de réagir, les petites structures et les indépendants peinent davantage à rivaliser. Elles manquent en effet d’avantage particulier sur ces deux grands types de concurrents, si ce n’est miser sur une proximité et une qualité du service que ne peuvent garantir des chaînes ou des particuliers.
Alors que penser de l’avènement de l’uberisation dans le tourisme mondial ? Bien au-delà du jugement porté, nous pouvons nous poser plusieurs questions fondamentales. Les pouvoirs publics doivent-ils chercher à réguler le marché pour protéger les professionnels du secteur et notamment les petites structures ? Si oui, comment peuvent-ils le faire ? En abordant le sujet avec davantage d’optimisme, comment les territoires peuvent-ils tirer profit de l’ubérisation du tourisme ? L’avenir nous dira si cette évolution est un progrès au regard de l’impact sur l’offre et la réaction de la demande sur le long terme.
Par Romain Horrillo, Chargé de Développement Commercial à Skema Conseil Lille